Le poème du 16 mars
La maison blanche
Dans ma blanche maison, j’ai songé bien des fois
A un monde plus généreux qu’une corbeille
Pleine de noix dorées, de raisins et de pêches
Où chacun puiserait pour l’autre de la joie,
Où le pain quotidien luirait comme un soleil.
Et il faudrait si peu pour que ce monde naisse :
Une nappe fleurie de bleuets sur la table,
Une bonne parole, un élan de tendresse,
Des mains d’hommes unies sous la paix des érables
Maurice Carême
Le poème du 14 mars
Le discours sur la paix
Vers la fin d’un discours extrêmement important
le grand homme d’État trébuchant
sur une belle phrase creuse
tombe dedans
et désemparé la bouche grande ouverte
haletant
montre les dents
et la carie dentaire de ses pacifiques raisonnements
met à vif le nerf de la guerre
la délicate question d’argent.
Jacques Prévert (extrait de Paroles, 1945, Éditions Gallimard)
Le poème du 13 mars
Poème de Stéphanie Bodet
J’ai demandé la lune au rocher
J’ai pensé qu’en m’agrippant
Je sauverais l’instant
J’ai pensé qu’en m’accrochant
J’arrêterais le temps
J’ai demandé la lune au rocher
Et j’y ai cru longtemps
M’entraînant
Soulevant des poids
Brisant des plumes
Je n’ai pas vu venir
Passer
Rides années
Tout entière absorbée par le rocher
Je le caresserai toujours
Car je crois au vieil amour qu’on rajeunit
De l’aile chaque jour
Mais je cède maintenant aux caprices du vent
Va mon cœur
Mène moi où tu voudras
J’ai demandé la lune au rocher
Et j’ai cru lire un jour sur sa face
Impassible
« Oublie-la  »
Et j’ai reçu en partage
L’étoffe des nuages
Qui déploie ses formes étranges
Le sourire des mésanges
Le vieux pin qui là -haut
Doucement se balance
L’amour
Encordé à jamais
J’ai demandé la lune au rocher
Et il m’a tout donné
Extrait de À la verticale de soi ©Éditions Guérin
Le poème du 12 mars :
Poème d’Hamid Tibouchi
des racines sensibles
s’enfoncent dans le plus profond du jardin
vaisseaux tentaculaires câbles
prospecteurs
à la recherche
de quel indice
le rosier s’agrippe au grillage
ses petites feuilles me font de petits
signes glacés à travers le canevas
encore plus mystérieux
un tapis volant d’étourneaux
a lâché dans l’air
une goutte d’huile de froid
un arbre m’a dit
va donc voir la mer
je l’ai trouvée qui rageait entre les rochers
un dieu accroupi lavait son linge
les flots jouaient avec la mousse
qui tissait vers le rivage
des suaires de neige
Extrait de « Mer Ouverte  »,Éd. Caractères, Paris, 1973
Le poème du 9 mars :
et je nage
dans cette eau d’avant tous les ciels
en haute et douce écume
et je nage
là où tous les deltas
commencent
à remonter vers leurs sources
et je nage dans cette eau si eau
qu’elle en devient
rêve liquide
offrande de silence
mille siècles de vie
© Éditions Le Castor Astral
Le poème du 8 mars :
Ô, solitude, l’île et ce volcan durci sous mes ongles
La racine du dire, la vocable d’une éternité, partance
Et soleils, si la joie se mesure à la peine, son regard
Sur l’aire lourde des fanes couchées, pluie encore
Pluie déliant l’obscur, dépliant les herbes, la souche
D’une parole qui s’évade et prend le large, pieds
Dans la boue et que roule un torrent, sa cascade
Fontaine sous mes doigts, le feu, l’eau liés ensemble
Pour façonner la glaise de ce corps éperdu et
Qui tremble. Qui suis-je donc ? L’univers dévorant
La plainte de son espace chargé et scories et lumières
Que je tresse, baguette de sorcier dans les mains
Poème extrait de Oui © La Rumeur Libre
Reproduit avec l’aimable autorisation des Éditions La Rumeur Libre